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15 mai 2009 5 15 /05 /mai /2009 23:58



LES ENFANTS ABANDONNES SERONT PLACES DANS DES FOURS


Le contexte. - En 1954, l’empereur d’Éthiopie Haïlé Sélassié Ier (1930-1975) décide de donner des codes à son pays. L’Éthiopie ignorait l’idée même de droit, même coutumier. Elle ne connaissait qu’une justice d’équité et le Fetha Negast (Justice des Rois), recueil écclésiastique et civil écrit au XIIIe siècle par un savant d’Égypte, qui n’avait d’ailleurs pas été imprimé en Éthiopie ni traduit en amharique, la langue officielle, et dont les règles n’étaient pas forcément suivis. En réalité, comme dans d’autres grandes civilisations, le Droit n’avait pas de valeur juridique ou obligatoire ; loin d’édicter un ensemble de commandements, il servait simplement de modèle et se confondait avec les normes de comportement sociales ou morales. La codification s’annonçait donc comme une création ex nihilo.


Deux experts français et un suisse sont désignés par le Negus Negesti pour accomplir cette tâche. René David (1906-1990), professeur à l’université de Paris et comparatiste renommé, est le premier d’entre eux. L'avant-projet de Code civil qu’il élabore est inspiré du Code fédéral suisse des obligations, du Code civil et de la doctrine français mais constamment adapté au sentiment de justice du peuple éthiopien (qui, par exemple, repoussait l’idée de responsabilité sans faute). Il sera promulgué, avec le Code de commerce, le 5 mai 1960 et entrera en vigueur le 11 septembre suivant. Le Code civil éthiopien de René David a survécu aux années de sang et de terreur de l'ère Mengistu. Toujours en vigueur, il peut être consulté en ligne dans une version anglaise (http://www.law.ugent.be/pub/nwr/elw/civilcode/civilcodepage.htm)... qui est le miel de cette histoire.

L’anecdote. - L'avant-projet de Code civil a d'abord été traduit par les services du ministère de la Justice du français vers l’amharique, langue de travail du pays que parle la majorité de la population. Désireux de vérifier la fidélité de cette traduction, René David, qui ne lit pas l’amharique, sollicita une seconde traduction de l’amharique vers l’anglais, puis la scruta attentivement. Deux articles le stupéfièrent.


Le premier disposait que les enfants abandonnés seront mis dans des fours allumés par les municipalités… ; le second que les décisions du conseil de famille seront placées dans des petits pots
Vérification faite, la version originale de ces deux textes était la suivante : les enfants abandonnés seront placés dans des foyers ouverts par les municipalités ; les décisions du conseil de famille seront entérinées...


Cette anecdote – une merveille d’humour noir – exprime toute la spécificité du langage juridique et la difficulté sinon les périls de la traduction. Les amateurs de linguistique juridique et de l’étude du langage du droit apprécieront.

Sources. - L’anecdote fut contée par René David à son collègue et ami Xavier Blanc-Jouvan, professeur émérite de l’université Paris I et éminent spécialiste de droit comparé, dont nous avons la chance de la tenir. Nous avons pu en mettre à jour les détails grâce au récit que René David fit de son entreprise de codification dans un article paru en 1962 (R. David, « Les sources du Code civil éthiopien » : Revue internationale de droit comparé 1962, p. 497) où, bien sûr, il ne souffle mot de cette petite histoire (NB : il publia deux autres articles sur le Code civil éthiopien à la Tulane Law Review de 1963 et à la Zeitschrift für ausländisches und internationales Privatrecht de 1962). En revanche, René David conclut son article à la RID comp. par un regret évocateur. En même temps qu’il préparait l’avant-projet de Code civil, il en rédigeait un utile commentaire exposant les sources et la méthode suivies. Mais ces commentaires durent vite être raccourcis et, écrit-il, « malheureusement, n’ont pas été publiés » du fait que « les services du ministère de la Justice ne pouvaient en assurer la traduction »… Du moins seront-ils parvenus à traduire le Code lui-même.

Patrick Morvan

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commentaires

S
Bonjour, pouvez-vous donner le numéro des articles en question ? J'ai cherché en vain les deux dispositions que vous mentionnez.
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