LA NULLITE DU MARIAGE POUR ABSENCE DE VIRGINITE :
DROIT, SEXE ET RELIGION
Actualité : par arrêt du 17 novembre 2008 (publié in JCP G 2009, II, 10005, note Ph. Malaurie), la cour d'appel de Douai a infirmé le jugement du TGI de Lille du 1er avril 2008 (ci-dessous commenté et critiqué) annulant un mariage civil en raison du mensonge de l'épouse sur sa virginité. La cour constate que la preuve de ce mensonge n'est pas rapportée et ajoute que, en tout état de cause, la virginité "n'est pas une qualité essentielle en ce que son absence n'a pas d'incidence sur la vie matrimoniale".
Les deux époux demeurent donc mariés et regretteront sans doute de n'avoir pas emprunté la voie ordinaire du divorce.
Que dit exactement le jugement du Tribunal de grande instance de Lille rendu le 1er avril 2008 publié au Recueil Dalloz du 22 mai 2008, n° 20, p. 1389) ? « Il importe de rappeler que l’erreur sur les qualités essentielles du conjoint suppose non seulement de démontrer que le demandeur a conclu le mariage sous l’empire d’une erreur objective, mais également qu’une telle erreur était déterminante de son consentement ; en l’occurrence, [l’épouse] acquiesçant à la demande de nullité fondée sur un mensonge relatif à sa virginité, il s’en déduit que cette qualité avait bien été perçue par elle comme une qualité essentielle déterminante du consentement de [son mari] au mariage projeté ; dans ces conditions, il convient de faire droit à la demande de nullité du mariage pour erreur sur les qualités essentielles du conjoint ».
Que dit la loi ? Selon l’article 180, alinéa 2, du Code civil, tel qu’il fut modifié par la loi du 11 juillet 1975, « S’il y a eu erreur dans la personne, ou sur des qualités essentielles de la personne, l’autre époux peut demander la nullité du mariage ».
Un survol de la jurisprudence des tribunaux montre que l’annulation d’un mariage a déjà été prononcée lorsque l’un des époux avait ignoré :
- une liaison antérieure que son conjoint n’avait nullement l’intention de rompre (TGI Le Mans, 7 déc. 1981, où les parties étaient animées de sentiments religieux profonds. – TGI Rennes, 11 déc. 2000) ;
- l’exercice par le conjoint de la prostitution (TGI Paris, 13 févr. 2001) ;
- son inaptitude à avoir des relations sexuelles normales en raison d’une impuissance masculine (CA Paris, 26 mars 1982) ; mais la non-consommation temporaire du mariage n’est pas une preuve suffisante de cette impuissance (CA Montpellier, 13 mars 1984) ;
- ou son inaptitude à procréer (TGI Avranches, 10 juill. 1973)...
Les « qualités essentielles » de l’époux touchent donc à l’intimité de la personne. Mais là n’est pas la cause de l’indignation suscitée par le jugement du TGI de Lille. Le débat est évidemment enflammé par l’arrière-fond moral et religieux sur lequel il se projette.
I. - Quelle est donc la place de la religion en ce domaine ?
Dans un arrêt fort instructif du 13 décembre 2005 (Cass. 1re civ., 13 déc. 2005, n° 02-21259), la Cour de cassation a refusé d’annuler un mariage en raison d’une liaison antérieure que l’époux avait entretenu durant huit années. L’épouse blessée soutenait que « l'erreur sur les qualités substantielles de la personne ne saurait s'apprécier de façon purement abstraite, sans considération pour les convictions religieuses ou philosophiques qui ont pu déterminer le consentement de l'autre partie ». À quoi la Cour suprême rétorque que si l’époux « reconnaissait avoir entretenu avant son mariage des relations avec une autre femme, il n'était pas démontré qu'il ait eu l'intention de poursuivre cette liaison après son mariage » ; en conséquence, le fait pour cet époux « d'avoir caché à son épouse l'existence de cette relation antérieure ne constituait pas une tromperie sur ses qualités essentielles » et les juges du fond avaient pu « souverainement estimé que les convictions religieuses de [l’épouse] ne permettaient pas d'établir que celle-ci n'aurait pas contracté mariage si elle avait eu connaissance de cette liaison passée de son mari dans la mesure où les aspirations de [l’époux] à une union durable n'étaient nullement mises à mal par cette circonstance ».
Cette décision témoigne du contrôle approfondi qu’exerce la Cour de cassation sur la notion de qualité essentielle. Elle laisse aussi augurer d’une possible approbation de l’analyse du TGI de Lille : en l’espèce, la « tromperie sur les qualités essentielles » pourrait ressortir des convictions religieuses ou du moins culturelles du mari de confession musulmane dont les « aspirations à une union durable » furent pour le moins « mises à mal » par la défloration de son épouse, qui n’a pas seulement gâché la nuit de noces.
Dans la même ligne, la qualité de divorcé d’un époux est une cause de nullité éventuelle du mariage civil lorsque le divorce et le (re)mariage religieux ne sont pas admis. Le fait pour l’époux « d'avoir caché à son épouse qu'il avait contracté un premier mariage religieux et qu'il était divorcé, avait entraîné pour son conjoint une erreur sur des qualités essentielles de la personne ; cette circonstance était déterminante de son consentement pour [l’épouse] qui, désirant contracter un mariage religieux, entendait, par là même, épouser une personne non divorcée » (Cass. 1re civ., 2 déc. 1997, n° 96-10498).
Néanmoins, il y a matière ici à restaurer la frontière entre le droit civil et la religion, une frontière essentielle en Occident où les sociétés politique et religieuse sont distinctes. Ce phénomène capital, la laïcisation du droit occidental, prend d'ailleurs sa source dans le christianisme qui sépare l’Église (pouvoir spirituel) de l’État (pouvoir temporel) (Jésus, à Pilate : « Mon royaume n’est pas de ce monde » [Jean XVIII, 36] ; aux pharisiens qui lui demandent s’ils doivent payer l’impôt à César : « Rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » [Saint Matthieu XXII, 21]).
Le droit n’est pas la religion parce qu’il ne vise pas aux mêmes fins que celle-ci. Cependant, entre ces deux ordres normatifs, l’influence est réciproque et profonde. De manière synthétique, il s’avère que le droit protège la croyance religieuse de chaque individu (CEDH, art. 9) mais refuse de consacrer le précepte religieux comme une norme collective opposable juridiquement. Témoignent de ce refus d’opposabilité (parmi d’innombrables illustrations) :
- la loi du 12 juin 2001 « tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales » (loi contre les sectes manipulatrices) ;
- la loi du 15 mars 2004 interdisant, « en application du principe de laïcité », « le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse » dans les écoles, collèges et lycées publics (C. éduc., art. L. 141-5-1) ; cette loi, qui déchaîna les passions, se justifiait autant par la nécessité de garantir le principe de laïcité que de protéger la liberté individuelle des jeunes filles voilées ; en ce sens, la remarque de la Garde des Sceaux, qui qualifia le jugement du TGI de Lille de mesure de protection de l’épouse assignée, ne manque pas de cohérence ;
- la reconnaissance par la Cour européenne des droits de l’homme de « l’incompatibilité de la charia avec les principes fondamentaux de la démocratie » (CEDH, 13 févr. 2003, Refah partisi c/ Turquie),
- la jurisprudence judiciaire selon laquelle les convictions religieuses n’entrent pas, sauf convention expresse, dans le champ contractuel (ainsi, par exemple, des locataires israëlites, qui ne doivent manier aucun système électrique durant le sabbat selon la loi juive, ne peuvent exiger de leur bailleur qu’il remplace le digicode d’entrée par une serrure mécanique. Cass. civ. 3e, 18 déc. 2002, Bull. civ. III, n° 262)…
Le droit laïc de l’État est même fondé à refouler la règle d’un droit religieux qui a vocation à s’appliquer devant les juridictions civiles. Le droit musulman, comme toute loi étrangère, s’applique couramment en France en vertu des règles du droit international privé mais sous réserve de ne pas heurter des principes républicains. Ainsi, selon la jurisprudence relative aux « répudiations musulmanes », la décision d’une juridiction étrangère constatant, sur le fondement de la Charia, « une répudiation unilatérale du mari sans donner d'effet juridique à l'opposition éventuelle de la femme et en privant l'autorité compétente de tout pouvoir autre que celui d'aménager les conséquences financières de cette rupture du lien matrimonial, est contraire au principe d'égalité des époux lors de la dissolution du mariage », reconnu par l’article 5 du protocole n° VII additionnel à la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH), dès lors que les deux époux sont domiciliés en France (Cass. civ. 1re, 17 févr. 2004 : RTD civ. 2004, p. 367, avec les références).
Un raisonnement similaire pourrait être soutenu à l’égard de la cause de nullité tirée de la fausse virginité de l’épouse. Par nature, celle-ci n’offre qu’au mari la faculté d’obtenir l’annulation du mariage. Nulle femme ne saurait protester de l’absence de virginité de son époux qui échappe à tout mode de preuve : pour l’homme, le mensonge est roi ; pour la femme, le procès est perdu d’avance, qu’elle se soumette à une expertise médicale ou acquiesce (comme dans l’affaire jugée à Lille) à la demande de son mari. La Cour de cassation serait bien inspirée de fustiger ce déséquilibre sur le fondement du principe d’égalité des époux proclamé par la CEDH.
À l’image de la répudiation unilatérale de l’épouse, la nullité pour défaut de virginité, inspirée par un sentiment religieux, heurte l’ordre public étatique français.
II. - Le jugement lillois choque également pour des raisons qui ne tiennent pas à la religion mais au traitement juridique du sexe.
La conformation sexuelle d’un époux relève-t-elle réellement de l’erreur, vice du consentement ? Une telle condition physiologique ne doit-elle pas être traitée de façon purement objective, peu important ce que les époux en pensent ?
Ainsi, selon un célèbre arrêt rendu au début du XXe siècle, « le défaut, la faiblesse ou l’imperfection de certains des organes caractéristiques du sexe sont sans influence possible sur la validité du mariage ; il peut en résulter seulement un état d’impuissance naturelle ou accidentelle et le Code civil, à la différence de l’ancienne législation et dans le but de prévenir les incertitudes, les difficultés et les scandales de la preuve, n’a pas accordé pour cette cause d’action en nullité » (Cass. civ., 6 avril 1903, où l’épouse était dépourvue d’organes génitaux internes mais présentait les apparences de la féminité).
On ne saurait mieux dire ici : la loi ne doit pas accorder d’action en nullité pour absence de virginité, qui est sans influence possible sur la validité du mariage, dans le but de prévenir les incertitudes et scandales de la preuve. La preuve de la virginité de l’épouse heurterait la dignité de la femme et serait d’ailleurs incertaine (une reconstruction chirurgicale de l’hymen permettant de corroborer le mensonge).
Certes, si l’impuissance masculine n’est pas en soi, objectivement, une cause de nullité du mariage (afin de ne pas interdire le mariage aux vieillards ou malades), elle peut le devenir en cas de dissimulation mensongère (CA Paris, 26 mars 1982, précité). Mais, ce qui est vrai de l’impuissance masculine, qui entrave les relations sexuelles et la procréation, ne l’est pas du défaut de virginité ! Il appartient au juge d’exclure ce défaut du cercle des « qualités essentielles de la personne » au sens de l’article 180, alinéa 2, du Code civil.
Patrick Morvan