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28 juin 2007 4 28 /06 /juin /2007 16:51


comment soustraire des salariés

à la sécurité sociale française ?

Les cas (distincts) de TOTAl et de la SNCF

 

 

 

Principe de territorialité. Le principe de territorialité en droit de la sécurité sociale signifie que les travailleurs salariés ou indépendants sont affiliés à un régime obligatoire de sécurité sociale en France s’ils exercent leur activité sur le territoire national, à titre temporaire ou permanent, à temps plein ou à temps partiel, sauf conventions internationales contraires. De façon symétrique, la législation française ne reçoit pas application en dehors du territoire national (article L. 111-2-2 du Code de la sécurité sociale, issu de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005).

 

C’est donc l'exercice d'une activité en France qui conditionne le rattachement du travailleur à la loi française, même si lui-même réside ou si son employeur a son siège à l'étranger.

 

Le droit communautaire consacre cette approche. Le règlement n° 1408/71 du 14 juin 1971, qui assure la coordination des diverses législations nationales au sein de la Communauté européenne, prévoit, notamment, que « la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d'un État membre est soumise à la législation de cet État, même si elle réside sur le territoire d'un autre État membre » (art. 13, § 2, a).  

 

Détachés et expatriés. Par exception, les salariés qui sont « détachés temporairement » à l'étranger (ou ceux qui sont détachés temporairement en France, depuis l’étranger) demeurent affiliés au régime de sécurité sociale français (ou celui de leur pays d’origine) pendant la durée de leur détachement en vertu de l’un des trois textes suivants :

 

- soit l'article 14, § 1, du règlement n° 1408/71 du 14 juin 1971, si le détachement s’effectue à l'intérieur de la Communauté européenne ;

 

- soit une convention bilatérale de sécurité sociale liant la France à l'État d'accueil du salarié détaché (par exemple la convention franco-américaine de sécurité sociale du 2 mars 1987) ;

 

- soit, à titre subsidiaire, les articles L. 761-2 et R. 761-1 du Code de la sécurité sociale (français) qui ne régissent donc a priori que le cas d’un détachement accompli en dehors de la Communauté européenne et dans un État qui n'a pas conclu de convention bilatérale avec la France (exemple : le Brésil).

 

La durée maximale du détachement varie alors selon le fondement textuel retenu (par exemple 5 ans dans la convention franco-américaine). Dans tous les cas, au terme de ce délai, le salarié devient un « expatrié » au sens du droit de la sécurité sociale : saisi par le principe de territorialité dont il s'était abstrait temporairement, il relève à titre exclusif de la législation du pays d'accueil.

 

 

Dans la Communauté européenne. Selon l'article 14, § 1, a) du règlement du 14 juin 1971, le travailleur occupé sur le territoire d'un État membre par une entreprise dont il relève normalement et détaché sur le territoire d'un autre État membre « demeure soumis à la législation du premier État, à condition que la durée prévisible de ce travail n'excède pas 12 mois et qu'il ne soit pas envoyé en remplacement d'un autre travailleur parvenu au terme de la période de son détachement ». Une prorogation pour une nouvelle durée de 12 mois est possible en raison de circonstances imprévisibles, avec l'accord préalable de l'autorité compétente de l'État d'accueil que doit solliciter l'employeur ([1]).

 

Toutefois, des accords dérogatoires peuvent être conclus sur le fondement de l'article 17 du règlement de 1971 entre les États membres au profit de certains travailleurs dotés d'aptitudes ou occupés dans des entreprises particulières (exemple : accord entre la France et l’Allemagne concernant les salariés allemands travaillant pour Airbus à Toulouse). Les demandes (dites « demandes article 17 ») de maintien d’affiliation au régime français (ou, à l’inverse, d’exemption) en cas de prolongation d’un détachement doivent être adressées au Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale (CLEISS) qui les transmet à l'institution compétente de l'État d'accueil (ou, à l’inverse, de l’État d’origine).

 

 

Impatriation (le cas de TOTAL). Une pratique - officielle et légitime - a cours dans les groupes internationaux : l’impatriation des cadres « à haut potentiel ». La filiale étrangère (en Suisse, aux Pays-Bas ou en Allemagne, le plus souvent) d’un groupe gère la « mobilité internationale » de centaines de cadres de nationalités multiples et expatriés dans le monde entier. En d’autres termes, elle assume le rôle d’employeur et tous ses salariés bénéficient du même régime de sécurité sociale (suisse, néerlandais ou allemand, par exemple). Ce dernier doit d’ailleurs se prêter à cette simplification : les droits à pension de retraite des cadres doivent être « portables » et les membres de leur famille bénéficier de l’assurance maladie même s’ils ne résident pas dans le pays ; en pratique, ces conditions ne peuvent être remplies si bien que la couverture sociale repose essentiellement sur une assurance privée souscrite par le groupe.

 

C’est ainsi qu’une filiale suisse du groupe TOTAL a longtemps géré la mobilité de 900 cadres de 80 nationalités différentes expatriés dans plus de 100 pays différents, dont 400 « détachés » en France (aux trois-quarts étrangers) pour une durée moyenne qui ne dépasse pas 3 ou 4 ans. Compréhensif à l’égard d’une pratique simplificatrice qui relève d’une politique cohérente de gestion des carrières internationales, le CLEISS avait accordé à Total une exemption d’affiliation au régime français de sécurité sociale sur la base de l’article 17 du règlement communautaire du 14 juin 1971 (V. supra). Mais, en 2006, le CLEISS et la direction de la sécurité sociale ont décidé de ne pas renouveler ces autorisations et exigé que ces cadres supérieurs soient affiliés au régime français de sécurité sociale, suscitant la confusion chez le pétrolier.

 

En réalité, TOTAL et d’autres groupes français sont des victimes indirectes de la lutte engagée à l’échelle européenne contre les détachements fictifs de salariés effectués à partir de « coquilles vides », des sociétés créées pour la circonstance dans un État de l’Union européenne où les travailleurs n’ont jamais résidé ni exercé la moindre activité avant leur prétendu détachement en France. Cette fraude est répandue dans les secteurs familiers du travail dissimulé (travail « au noir ») tels que le bâtiment ou le spectacle. La mobilité internationale des cadres dans les groupes de sociétés n’a pourtant qu’un lointain rapport avec ce type de fraude, souvent commise par de petites entreprises et des « officines » qui n’ont aucune autre activité.

 

À défaut d’offrir un cadre juridique adéquat aux groupes internationaux, la France affaiblit l’attractivité sociale de son territoire alors que les pouvoirs publics prétendent, dans le même temps, la développer par des régimes fiscaux de faveur (notamment le régime fiscal des « impatriés »).

 

La Communauté européenne pourrait résoudre le problème en créant un régime unique de sécurité sociale – qui relève pour l’heure de l’utopie. Dans le cas de TOTAL, un accord bilatéral franco-suisse pourrait créer une dérogation générale. D’une manière générale, de multiples accords internationaux devraient être conclus avec des États étrangers, y compris en Asie ou en Amérique latine. 

 

Sociétés off-shore (le cas de la SNCF). C’est un autre montage plus répréhensible auquel la SNCF a eu recours (à son insu, précisent ses dirigeants).

 

En juin 2007 fut révélée par le journal Le Figaro l’existence d’une société off-shore (Rail Road Consultants Ltd) établie dans l’île de Man (Royaume-Uni), qui avait embauché des cheminots à la retraite afin de les mettre à la disposition d’une entreprise ferroviaire à Taïwan et d’y assurer la formation des conducteurs de TGV à la demande de SNCF international (filiale de l’entreprise publique française). En sus de leur pension de retraite versée en France (environ 2000 €), les intéressés percevaient un important salaire (plus de 6000 €).

 

Le stratagème relève ici de la fraude pure et simple : il vise à contourner les règles légales limitant le cumul emploi-retraite qui n’autorisent la reprise d'une activité par un salarié parti à la retraite que si les revenus qu’elle lui lui procure, ajoutés aux pensions servies par les régimes de retraite obligatoires, sont inférieurs à 160 % du SMIC sur une base annuelle de 1820 heures, soit un plafond de 2000 € environ) ou au dernier salaire d'activité perçu avant la liquidation de ces pensions.

 

Patrick Morvan  



([1]) Règl. n° 574/72, 21 mars 1972, art. 11, § 2. Sur les formalités que doit remplir l'employeur avant le départ du salarié, cf. Circ. DSS/DAEI n° 2000-63, 4 févr. 2000 : Dr. ouvrier 2001, p. 20.

 

 

 

 

 

 

 

 

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