L'INDICATION DU SEXE SUR L'ETAT-CIVIL DES PERSONNES INTERSEXUEES EN FRANCE, EN ALLEMAGNE ET EN AUTRICHE
EN FRANCE
L’article 55 de la circulaire du 28 octobre 2011 relative à l’état civil déconseille de porter la mention « sexe indéterminé » sur l’acte de naissance d’un enfant qui ne peut être identifié comme étant de sexe féminin ou de sexe masculin, bref une personne intersexuée. Elle préconise d’inscrire à titre provisoire le sexe qui « apparaît le plus probable compte tenu des résultats prévisibles d’un traitement médical » (sexe dit d’élevage !). Dans certains cas exceptionnels, il peut être admis qu’aucune mention ne soit inscrite dans l’acte de naissance, sous réserve de le compléter ensuite par décision judiciaire.
Innovant de façon spectaculaire, le tribunal de grande instance de Tours avait ordonné en 2015 que soit substituée la mention « sexe neutre » à la mention « sexe masculin » dans l’acte de naissance d’une personne intersexuée, compte tenu de « l’impossibilité de définir son sexe d’un point de vue génital, hormonal et surtout psychologique, alors que toute la jurisprudence, notamment en matière de transsexualisme, a fait primer cet aspect de l’identité sexuelle sur tout autre ». Selon le TGI, contrevient à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (protégeant le droit au respect de la vie privée et familiale) le fait que « le sexe qui a été assigné [au demandeur] à sa naissance apparaît comme une pure fiction, qui lui aura été imposé pendant toute son existence sans que jamais il ait pu exprimer son sentiment profond ».
Le jugement du TGI de Tours fut infirmé en appel et la Cour de cassation a approuvé ce rappel à l’ordre. Elle affirme que :
- « la loi française ne permet pas de faire figurer, dans les actes de l'état civil, l'indication d'un sexe autre que masculin ou féminin » ;
- « la reconnaissance par le juge d'un "sexe neutre" aurait des répercussions profondes sur les règles du droit français construites à partir de la binarité des sexes et impliquerait de nombreuses modifications législatives de coordination » ;
- « la cour d'appel, qui a constaté que M. X... avait, aux yeux des tiers, l'apparence et le comportement social d'une personne de sexe masculin, conformément à l'indication portée dans son acte de naissance, a pu en déduire (…) que l'atteinte au droit au respect de sa vie privée n'était pas disproportionnée au regard du but légitime poursuivi ».
EN ALLEMAGNE
Il existerait 160 000 personnes intersexuées en Allemagne. Par décision du 10 octobre 2017, le tribunal constitutionnel fédéral allemand (Bundesverfassungsgericht ou BVG) avait enjoint au législateur de modifier le droit germanique afin que l’acte de naissance d’une personne intersexuée (de sexe neutre, ni masculin ni féminin) comporte une mention positive relative à son sexe. Jusqu’alors, aucune mention n’était portée sur les registres d’état civil si le sexe était indéterminable ou, plus exactement, il était inscrit « sans mention » (une pure négation de l’identité). Selon le BVG, le « droit de la personnalité » découlant de la Loi fondamentale protège « l’identité de genre ».
Cette injonction judiciaire ne concernait pas les transgenres ni les transsexuels dont le sexe biologique reste déterminable, ce que déplorent les détracteurs d’une « approche biologisante de l’identité sexuée » (tel Benjamin Moron-Puech). Mais la réforme intervenue témoigne d'une reconnaissance très approximative de l'identité sociale des intersexués.
La modification du Personenstandsgesetz (loi sur l'état-civil), imposée par la décision du BVG, est intervenue le 22 décembre 2018. Désormais, l’acte de naissance des personnes intersexuées (identifiables comme étant ni de sexe féminin ni de sexe masculin) peut comporter la mention « divers ». De façon surprenante, c’est bien ce mot français qui est utilisé par la loi allemande à l'article 22 § 3 du Personenstandsgesetz (version allemande ici) :
Loi sur l'état civil (LEC)
§ 22 Informations manquantes (...)
(3) Si l'enfant ne peut être rattaché ni au sexe féminin ni au sexe masculin, l'état civil peut également être inscrit au registre des naissances sans cette indication ou avec l'indication "divers".
L'article 22 concerne les enfants. Les adultes relèvent de l'article 45b (version allemande ici) :
§ 45b Déclaration du sexe et du prénom dans le cas de personnes présentant des variantes du développement sexuel (Personen mit Varianten der Geschlechtsentwicklung)
(1) Les personnes présentant des variantes du développement sexuel peuvent déclarer à l’office de l'état civil que la mention de leur sexe dans un acte d'état civil allemand doit être remplacée ou supprimée par une autre désignation prévue à l'article 22 §3. En l'absence de mention à l'état civil allemand, peuvent déclarer à cet état civil la désignation qui, parmi celles prévues à l'article 22, § 3, fait autorité pour eux ou renoncer à l'indication d'une désignation de sexe :
1. les Allemands au sens de la Loi fondamentale,
2. les étrangers apatrides ayant leur résidence habituelle en Allemagne,
3. les étrangers réfugiés résidant en Allemagne,
4. les étrangers dont la législation du pays d'origine ne contient pas de réglementation comparable, à conditions qu’ils
a) aient un droit de séjour illimité,
b) soient titulaires d’un permis de séjour renouvelable et résident régulièrement en permanence dans le pays, ou
c) soient titulaires d’une carte bleue européenne.
La déclaration peut également être utilisée pour déterminer de nouveaux prénoms. Les déclarations doivent être authentifiées publiquement ; elles peuvent également être authentifiées ou notariées par les bureaux d'enregistrement.
(2) Pour un enfant légalement incapable ou n'ayant pas encore 14 ans, seul son représentant légal peut effectuer la déclaration. Dans le cas contraire, l'enfant ne peut faire la déclaration que par lui-même ; le consentement de son représentant légal est requis à cet effet. Si le représentant légal refuse de donner son consentement, le tribunal de la famille supplée ce consentement dès lors que le changement de l'indication du sexe ou du prénom n'est pas contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant ; (…).
(3) Il doit être prouvé par la présentation d'un certificat médical qu'une variante du développement sexuel est présente. [Cette exigence] ne s'applique pas aux personnes qui n'ont pas de certificat médical attestant d’un traitement médical et pour lesquelles l’existence de la variante du développement sexuel ne peut plus être prouvée en raison du traitement ou ne peut l'être que par un examen déraisonnable, à condition de l’affirmer sous serment.
(4) L'officier d’état civil qui tient le registre des naissances de l'intéressé est chargé de recevoir la déclaration. Si la naissance n'est pas enregistrée dans un registre des naissances allemand, c'est l'officier d’état civil qui tient le registre des mariages ou le registre du partenariat civil de la personne qui est compétent. [À défaut de ces deux cas], le bureau d'état civil dans le ressort duquel la personne a son domicile ou sa dernière résidence ou résidence habituelle est compétent. [À défaut], c'est le bureau d'état civil I à Berlin qui est compétent. Le bureau d'état civil I de Berlin tient une liste des déclarations reçues conformément aux alinéas 3 et 4.
L'expression "personnes présentant des variations du développement sexuel" (que nous reprenons ci-dessus pour traduire la décision du BVG) a été utilisée en 2017 par le Sénat dans un rapport sur les personnes intersexuées. Benjamin Moron-Puech en livre un commentaire ici.
Selon cet auteur, d'une manière générale, 1) il faut bannir le vocabulaire médical (biologisant) et surtout interdire les traitements chirurgicaux sur les enfants intersexués parce que le problème est avant tout social et institutionnel et parce que ces interventions sont illégales. 2) Il faut effacer des textes la binarité homme/femme (ce à quoi s'est refusée la Cour de cassation). 2 bis) Cette binarité doit néanmoins être conservée pour les questions de filiation (un enfant doit avoir un parent de sexe masculin ou féminin et pas de sexe neutre car il a droit d'accéder à ses origines). Cela rend critiquable l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier du 14 novembre 2018. 3) La mention du sexe sur les documents d'identité (le titre d'identité) devrait résulter d'une déclaration de l'intéressé(e) sur son identité de "genre" et ne pas découler de celle figurant sur l'acte de naissance (l'état civil) (le registre d'identité). 4) Il faut employer un vocabulaire qui ne crée pas de confusion entre l'"identité sexuée" (quel est mon sexe biologique ?), l'"orientation sexuelle" (par qui suis-je attiré ?) et le "genre" (qui est une construction sociale et psychologique, l'apparence qu'on arbore et la façon de se comporter). L'expression personnes présentant des variations du "développement sexuel" confond identité sexuée et orientation sexuelle.
EN AUTRICHE
La Cour constitutionnelle autrichienne avait statué dans le même sens dans un arrêt du 15 juin 2018 (version allemande ici). Elle avait estimé, s’appuyant sur plusieurs arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, que
« si le législateur - comme c'est le cas pour la disposition du §2 (2) Z3 PStG 2013 actuellement en cours d'examen - fonde sa décision sur la mention du sexe dans un registre public afin de déterminer la date de naissance aux fins d’application de la loi sur le statut personnel, il est en principe tenu par l'article 8 Conv. EDH de prévoir une mention qui peut refléter l'identité sexuelle individuelle correspondante ».
Sur cette décision allemande : B. Moron-Puech, Autre sexe outre-Rhin ? « Plaisante justice qu'une rivière borde... » : Recueil Dalloz 2018, p. 73.